Symboles et Gnose
Jacques E. Ménard
Résumé
La gnose se fixe pour but d'abolir les bipolarités et les dualismes qui marquent l'homme et son histoire. Et l'homme, remontant des dualismes vers une Unité Primordiale, redécouvre son âme. Plus que jamais il est vrai de dire que nous sommes en présence de la nostalgie d'une Urzeit, d'un Temps Primordial, et d'un Ursprung, d'une origine première. Et de toutes les religions la gnose est celle qui a le plus souvent recours aux symboles grâce auxquels l'homme se projette, lui et son destin, sur l'écran d'un temps mythique où il revit sans cesse sa chute dans la matière et sa remontée à des origines célestes qui sont siennes.
Résumé
La gnose se fixe pour but d'abolir les bipolarités et les dualismes qui marquent l'homme et son histoire. Et l'homme, remontant des dualismes vers une Unité Primordiale, redécouvre son âme. Plus que jamais il est vrai de dire que nous sommes en présence de la nostalgie d'une Urzeit, d'un Temps Primordial, et d'un Ursprung, d'une origine première. Et de toutes les religions la gnose est celle qui a le plus souvent recours aux symboles grâce auxquels l'homme se projette, lui et son destin, sur l'écran d'un temps mythique où il revit sans cesse sa chute dans la matière et sa remontée à des origines célestes qui sont siennes.
Revue des Sciences Religieuses
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Ménard Jacques E. Symboles et Gnose. In: Revue des Sciences Religieuses, tome 49, fascicule 1-2, 1975. Le symbole. pp. 33-48;
doi : 10.3406/rscir.1975.2723 http://www.persee.fr/doc/rscir_0035-2217_1975_num_49_1_2723
Ménard Jacques E. Symboles et Gnose. In: Revue des Sciences Religieuses, tome 49, fascicule 1-2, 1975. Le symbole. pp. 33-48;
doi : 10.3406/rscir.1975.2723 http://www.persee.fr/doc/rscir_0035-2217_1975_num_49_1_2723
Document généré le 03/06/2016
SYMBOLES ET GNOSE
S'il est une pensée religieuse qui se coule bien dans les catégories chères aux psychanalystes, aux phénoménologues et aux structuralistes, c'est l'idéologie gnostique des premiers siècles de notre ère que la découverte de Nag Hammadi a remise en lumière ces dernières années. Le premier Codex de cette découverte ne porte-t-il pas en effet le nom de Codex Jung en l'honneur du grand psychanalyste zurichois et de son Institut qui s'étaient portés acquéreurs du manuscrit ? Plus que tout autre, la gnose,
connaissance de « soi », est cette nostalgie des origines qui serait pour Mircéa Eliade un des grands communs dénominateurs de toutes les religions, et elle réalise, selon les catégories jungiennes, un
archétype de plénitude noétique, dépassant les bipolarités et les dualismes où l'homme se trouve prisonnier. Grâce à des symboles et des mythes comme ceux de cercle et de paradis, de plérôme où l'âme accède en remontant de l'eau froide dans laquelle elle était plongée, de feu et de lumière, de résurrection et de renaissance, de hiéro- gamie par laquelle le pneumatique rejoint son « moi » ontologique et transcendantal, la gnose établit une médiation entre l'inconscient et le conscient, entre ce qui est caché et ce qui est manifesté. Tous
les symboles et les mythes qu'elle emploie ont pour but de redonner au gnostique son équilibre psychique, en réactualisant des images archétypales qui lui permettent de reprendre conscience de son âme.
I — Symbole du cercle et mythe paradisiaque
A la question des disciples s'inquiétant de ce que sera leur fin eschatologique, le Maître du logion 18 de l'Evangile selon Thomas répond qu'elle est déjà arrivée ; pour l'atteindre, il faudra
retrouver le commencement, c'est-à-dire ses origines, car l'un et l'autre, le commencement et la fin, sont identiques :
S'il est une pensée religieuse qui se coule bien dans les catégories chères aux psychanalystes, aux phénoménologues et aux structuralistes, c'est l'idéologie gnostique des premiers siècles de notre ère que la découverte de Nag Hammadi a remise en lumière ces dernières années. Le premier Codex de cette découverte ne porte-t-il pas en effet le nom de Codex Jung en l'honneur du grand psychanalyste zurichois et de son Institut qui s'étaient portés acquéreurs du manuscrit ? Plus que tout autre, la gnose,
connaissance de « soi », est cette nostalgie des origines qui serait pour Mircéa Eliade un des grands communs dénominateurs de toutes les religions, et elle réalise, selon les catégories jungiennes, un
archétype de plénitude noétique, dépassant les bipolarités et les dualismes où l'homme se trouve prisonnier. Grâce à des symboles et des mythes comme ceux de cercle et de paradis, de plérôme où l'âme accède en remontant de l'eau froide dans laquelle elle était plongée, de feu et de lumière, de résurrection et de renaissance, de hiéro- gamie par laquelle le pneumatique rejoint son « moi » ontologique et transcendantal, la gnose établit une médiation entre l'inconscient et le conscient, entre ce qui est caché et ce qui est manifesté. Tous
les symboles et les mythes qu'elle emploie ont pour but de redonner au gnostique son équilibre psychique, en réactualisant des images archétypales qui lui permettent de reprendre conscience de son âme.
I — Symbole du cercle et mythe paradisiaque
A la question des disciples s'inquiétant de ce que sera leur fin eschatologique, le Maître du logion 18 de l'Evangile selon Thomas répond qu'elle est déjà arrivée ; pour l'atteindre, il faudra
retrouver le commencement, c'est-à-dire ses origines, car l'un et l'autre, le commencement et la fin, sont identiques :
34
J.-E. MÉNARD
Car 'là où est le commencement (àp/Vj),
là sera la fin. Heureux (jiaxdptoq;)
celui qui se tiendra dans le commencement (àp/Vj), et il connaîtra la fin et il ne goûtera
pas de la mort.
Pour re-connaître où l'on va, il faut re-connaître d'où l'on vient ; pour re-connaître sa fin, on doit re-connaître ses origines célestes. Dans leur description de ce mouvement de l'âme atteignant sa fin. en re-joignant ses origines, les gnoses font appel au cercle dont la boude se re-ferme sur elle-même. Heraclite disait déjà : « Dans
le cercle le début et 'La fin se rejoignent» (1), et l'image est
familière à Plotin aussi bien qu'aux gnostiques pour qui tout tourne
autour de l'âme comme un cercle autour de son centre. La
plénitude du Tout est en soi-même. On lit dans VEvangUe selon Thomas
(log. Ill) <2) :
Jésus a dit : Les cieux s'enrouleront ainsi que la terre en votre présence, et le Vivant (issu)
du Vivant ne verra ni mort ni (oo8é) crainte, parce que (à'tt) Jésus dit : Celui qui se trouvera soi-même, le monde (xdajtoi;) n'est pas digne de lui.
Ce symbole du cercle est à rapprocher de celui du serpent se
mordant la queue du ms grec (Z. 29*9 [ = 584] ) de la Bibliothèque de Saint-Marc à Venise et qui est un symbole de dualisme et de réunification. On se prend aussi à songer au fleuve coulant en lui-même de Maître Eckhart ou encore au mandala hindou repris par Jung pour expliciter le vieil archétype religieux de paradis avec, en son milieu, une figure comme celle de l'arbre de vie.
Ces symboles illustrent bien le mouvement cyclique que comporte toute pensée gnostique.
Le mythe paradisiaque est particulièrement mis en évidence dans les différentes versions de VApocryphon de Jean, l'Hypostase des Archontes ou le Traité sur l'origine du monde du Codex II de Nag Hammadi. Et cet arbre de vie est celui de la gnose, ainsi que décrit l'auteur de flr'Evangile selon Philippe {sent. 94), alors que l'arbre de la science du bien et du mal est celui de la Loi (3).
là sera la fin. Heureux (jiaxdptoq;)
celui qui se tiendra dans le commencement (àp/Vj), et il connaîtra la fin et il ne goûtera
pas de la mort.
Pour re-connaître où l'on va, il faut re-connaître d'où l'on vient ; pour re-connaître sa fin, on doit re-connaître ses origines célestes. Dans leur description de ce mouvement de l'âme atteignant sa fin. en re-joignant ses origines, les gnoses font appel au cercle dont la boude se re-ferme sur elle-même. Heraclite disait déjà : « Dans
le cercle le début et 'La fin se rejoignent» (1), et l'image est
familière à Plotin aussi bien qu'aux gnostiques pour qui tout tourne
autour de l'âme comme un cercle autour de son centre. La
plénitude du Tout est en soi-même. On lit dans VEvangUe selon Thomas
(log. Ill) <2) :
Jésus a dit : Les cieux s'enrouleront ainsi que la terre en votre présence, et le Vivant (issu)
du Vivant ne verra ni mort ni (oo8é) crainte, parce que (à'tt) Jésus dit : Celui qui se trouvera soi-même, le monde (xdajtoi;) n'est pas digne de lui.
Ce symbole du cercle est à rapprocher de celui du serpent se
mordant la queue du ms grec (Z. 29*9 [ = 584] ) de la Bibliothèque de Saint-Marc à Venise et qui est un symbole de dualisme et de réunification. On se prend aussi à songer au fleuve coulant en lui-même de Maître Eckhart ou encore au mandala hindou repris par Jung pour expliciter le vieil archétype religieux de paradis avec, en son milieu, une figure comme celle de l'arbre de vie.
Ces symboles illustrent bien le mouvement cyclique que comporte toute pensée gnostique.
Le mythe paradisiaque est particulièrement mis en évidence dans les différentes versions de VApocryphon de Jean, l'Hypostase des Archontes ou le Traité sur l'origine du monde du Codex II de Nag Hammadi. Et cet arbre de vie est celui de la gnose, ainsi que décrit l'auteur de flr'Evangile selon Philippe {sent. 94), alors que l'arbre de la science du bien et du mal est celui de la Loi (3).
(1) Cf. H. Diels, Die Fragmente der Vorsokratiker, I», Berlin, 1912,
p. 98, Nr. 103.
(2) Le log. Ill est à rapprocher du log. 3.
(3) Cf. Apocalypse de Paul, 45 et H. Duensing, Apokalypse des Pau-
lus, dans Neutestamentliche Apokryphen, IIs, éd. par E. Hennecke et
W. Schneemelcher, Tubingen, 1964, p. 561.
SYMBOLES ET GNOSE 35
II — Le Plérôme
Dans le scheme mythique de la gnose, il faut que l'âme
remontant au ciel dépasse les Archontes mauvais, correspondants mythiques des passions, qui peuplent les sphères élevées terrestres et qui en sont les gardiens, comme dans la littérature juive, le man- déisme et le manichéisme (4).
Dans cet extrait d'un Evangile selon Philippe que nous a conservé Epiphane, Pan., XXVI, 131, 2-3, nous lisons :
Le Seigneur (ô xôpioç) m'a révélé (dicexdXu<j>£v) ce que l'âme doit dire dans sa remontée au cid, et comment eOle doit répondre à chacune des Puissances supérieures ("côbv à'vu> SovdfjLewv) : « Je me suis reconnue (eicefvtov è|xaoxVjv) et je me suis rassemblée de toute part (xai ouvéXs^a èjj.aox7jv èx Ttavxapoev) et je n'ai engendré aucun enfant à l'Archonte (xai. oùx è'oiceipa xéxva xqï dpydvxi), mais j'ai déraciné ses racines (dXXd è£sppî£(oaa toi; pi aùxoô) et rassemblé mes membres dispersés (xai o
xd (iéXtj td BtsoxopTctojxéva et je te connais pour qui tu es ; car j 'appartiens à ceux d'en haut (è^fà) ]fdp t&v avu>0sv eijii) .
«Et elle est libérée (dxoXôsxat). Mais, lorsqu'il apparaît qu'elle a engendré un fils, elle est retenue ici-bas (xdxco) jusqu'à ce qu'elle soit en état d'attirer ses enfants et de les convertir à elle (eux; fiv xd t&ta xéxva Sovyjotq àvaXa-
fleiv xai àvaoxps<|>at efc éaox^v).
Dans ce scénario mythique, derrière lequel se cache le mythe de Dionysos Zagreus déchiqueté par les Titans et se rassemblant lui-même (5), s'engage, entre l'âme montant au ciel et les Archontes,
un dialogue semblable à celui d'iRÉNEE, Adv. Haer., I, 21,5 ou d'EpiPHANE, Pan., XXXVI, S, 2-6 ou, encore, de la I Apocalypse de Jacques du Codex V de Nag Hammadi, p. 381, 11-34, 1 Bôhflig- Pahor Labib, de l'Evangile de Marie, fol. 15-17 Till et de la Pistis Sophia, p. 186', 1&180, 4 Schmidt-Ttl. Et c'est lors de ce dialogue
que l'âme dévoile son origine divine dans une formule qui correspond à celle de l'Extrait 78 du valentinien Théodote :
(4) Cf. K. Rudolph, Die Mandaer, I : Dos Mandàerproblem, n : Der
Kult (FRLANT, 56/57), Gôttingen, 1961, I, Index, s.v. Matarata, p. 304. (5) Cf. J.-E. Ménard, Le mythe de Dionysos Zagreus chez Philon,
dans RevScRel, 42 (1968), p. 339-345 ; ibid., p. 349-351.
Dans le scheme mythique de la gnose, il faut que l'âme
remontant au ciel dépasse les Archontes mauvais, correspondants mythiques des passions, qui peuplent les sphères élevées terrestres et qui en sont les gardiens, comme dans la littérature juive, le man- déisme et le manichéisme (4).
Dans cet extrait d'un Evangile selon Philippe que nous a conservé Epiphane, Pan., XXVI, 131, 2-3, nous lisons :
Le Seigneur (ô xôpioç) m'a révélé (dicexdXu<j>£v) ce que l'âme doit dire dans sa remontée au cid, et comment eOle doit répondre à chacune des Puissances supérieures ("côbv à'vu> SovdfjLewv) : « Je me suis reconnue (eicefvtov è|xaoxVjv) et je me suis rassemblée de toute part (xai ouvéXs^a èjj.aox7jv èx Ttavxapoev) et je n'ai engendré aucun enfant à l'Archonte (xai. oùx è'oiceipa xéxva xqï dpydvxi), mais j'ai déraciné ses racines (dXXd è£sppî£(oaa toi; pi aùxoô) et rassemblé mes membres dispersés (xai o
xd (iéXtj td BtsoxopTctojxéva et je te connais pour qui tu es ; car j 'appartiens à ceux d'en haut (è^fà) ]fdp t&v avu>0sv eijii) .
«Et elle est libérée (dxoXôsxat). Mais, lorsqu'il apparaît qu'elle a engendré un fils, elle est retenue ici-bas (xdxco) jusqu'à ce qu'elle soit en état d'attirer ses enfants et de les convertir à elle (eux; fiv xd t&ta xéxva Sovyjotq àvaXa-
fleiv xai àvaoxps<|>at efc éaox^v).
Dans ce scénario mythique, derrière lequel se cache le mythe de Dionysos Zagreus déchiqueté par les Titans et se rassemblant lui-même (5), s'engage, entre l'âme montant au ciel et les Archontes,
un dialogue semblable à celui d'iRÉNEE, Adv. Haer., I, 21,5 ou d'EpiPHANE, Pan., XXXVI, S, 2-6 ou, encore, de la I Apocalypse de Jacques du Codex V de Nag Hammadi, p. 381, 11-34, 1 Bôhflig- Pahor Labib, de l'Evangile de Marie, fol. 15-17 Till et de la Pistis Sophia, p. 186', 1&180, 4 Schmidt-Ttl. Et c'est lors de ce dialogue
que l'âme dévoile son origine divine dans une formule qui correspond à celle de l'Extrait 78 du valentinien Théodote :
(4) Cf. K. Rudolph, Die Mandaer, I : Dos Mandàerproblem, n : Der
Kult (FRLANT, 56/57), Gôttingen, 1961, I, Index, s.v. Matarata, p. 304. (5) Cf. J.-E. Ménard, Le mythe de Dionysos Zagreus chez Philon,
dans RevScRel, 42 (1968), p. 339-345 ; ibid., p. 349-351.
36
J--E. MÉNAED
Qui étions-nous? Que sommes-nous devenus? — Où
étions-nous ? Où avons-nous été jetés ? — Vers quel
but nous hâtons-nous ? D'où sommes-nous rachetés ? —
Qu'est-ce que la génération ? Et la régénération ?
Si l'on démythologise ce langage, il signifie que Fame doit retrouver Dieu à l'intérieur d'elle-même. C'est la leçon enseignée par
le logion 3 de l'Evangile selon Thomas :
Jésus a dit :
Si ceux qui vous guident vous disent :
Voici, le Boyaume est dans le ciel,
alors les oiseaux du ciel vous devanceront ;
s'ils vous disent qu'il est dans la
mer (ôdtXaaoa), alors les poissons vous devanceront. Mais (ctXXd) le Royaume est à l'intérieur de vous et il est à l'extérieur de vous. Quand (ôxav) vous
vous connaîtrez, alors (xo-ce) vous serez connus
et vous saurez que vous êtes
les fils du Père qui est vivant. Mais (&s) si
vous ne vous connaissez pas, alors vous
êtes dans la pauvreté, et vous
êtes la pauvreté.
La pensée de ce logion se tient bien près de la mystique par introversion de l'hellénisme. Il ne suffit pas que l'homme se
reconnaisse naturellement, qu'il prenne conscience de sa nature et de sa faiblLesse, il doit aussi re-connaître qu'il porte en lui-même une étincelle, une parcelle divine qui lui permet de s'identifier à Dieu. H atteint ainsi à une Unité Primordiale, à cet Un dont parle Plotin, et c'est cette synthèse qui lui re-donne la possibilité de se re-trouver dans le monde, et c'est cette identification à Dieu qui le rend
capable de dominer le Tout, en le ré-unifiant. Nous ne sommes pas
tellement loin d'une pensée présocratique ou hégélienne, pour qui l'Esprit doit constamment refaire sa synthèse, en réunissant en lui-même les bipolarités comme droite/gauche, mâle/femélle, une synthèse sans cesse renouvelée et qui n'est qu'une remontée vers l'Un. La mystique par introversion de l'hellénisme et les gnoses rejettent cette multiplicité et cette diversité, celle de la matière,
qu'elles considèrent comme une malédiction (G), et elles préfèrent (6) Cf. C.H., I, 18.
Qu'est-ce que la génération ? Et la régénération ?
Si l'on démythologise ce langage, il signifie que Fame doit retrouver Dieu à l'intérieur d'elle-même. C'est la leçon enseignée par
le logion 3 de l'Evangile selon Thomas :
Jésus a dit :
Si ceux qui vous guident vous disent :
Voici, le Boyaume est dans le ciel,
alors les oiseaux du ciel vous devanceront ;
s'ils vous disent qu'il est dans la
mer (ôdtXaaoa), alors les poissons vous devanceront. Mais (ctXXd) le Royaume est à l'intérieur de vous et il est à l'extérieur de vous. Quand (ôxav) vous
vous connaîtrez, alors (xo-ce) vous serez connus
et vous saurez que vous êtes
les fils du Père qui est vivant. Mais (&s) si
vous ne vous connaissez pas, alors vous
êtes dans la pauvreté, et vous
êtes la pauvreté.
La pensée de ce logion se tient bien près de la mystique par introversion de l'hellénisme. Il ne suffit pas que l'homme se
reconnaisse naturellement, qu'il prenne conscience de sa nature et de sa faiblLesse, il doit aussi re-connaître qu'il porte en lui-même une étincelle, une parcelle divine qui lui permet de s'identifier à Dieu. H atteint ainsi à une Unité Primordiale, à cet Un dont parle Plotin, et c'est cette synthèse qui lui re-donne la possibilité de se re-trouver dans le monde, et c'est cette identification à Dieu qui le rend
capable de dominer le Tout, en le ré-unifiant. Nous ne sommes pas
tellement loin d'une pensée présocratique ou hégélienne, pour qui l'Esprit doit constamment refaire sa synthèse, en réunissant en lui-même les bipolarités comme droite/gauche, mâle/femélle, une synthèse sans cesse renouvelée et qui n'est qu'une remontée vers l'Un. La mystique par introversion de l'hellénisme et les gnoses rejettent cette multiplicité et cette diversité, celle de la matière,
qu'elles considèrent comme une malédiction (G), et elles préfèrent (6) Cf. C.H., I, 18.
SYMBOLES ET GNOSE 37
un franc retour de l'homme sur lui-même et la totale identification
des contraires. C'est de cette façon que l'homme a le plus de chance
de re-faire l'Unité en lui-même et dans le monde. Pareille religion,
en arrêtant l'Intelligence sur l'Un, risquait de paraître supérieure
à d'autres qui vivaient dans une attente eschaJtologique.
III — Symbolique de Veau et du feu
Cette conscience gnostique et cette domination du monde
s'exprimeront dans une autre symbolique : celle de l'eau et du feu. Cette dernière rencontre des parallèles à l'époque gréco-romaine. Sénèque, dans ses Quaestiones naturales, III, 5 ainsi que Tertullien, De carne Christi, IX, 3 soutiennent que notre chair et notre sang, constituant les éléments passibles de nous-mêmes, sont effectivement issus de la terre et de l'eau, mais que d'esprit est l'élément actif en nous, puisqu'il provient de l'air et du feu.
Les sphères cosmiques supérieures des textes gnostiques sont faites avant tout de lumière (7). Rares parmi ces textes sont ceux pour qui le feu constitue un élément inférieur (8). C'est dans ces sphères supérieures que l'âme doit remonter. Tombée dans une eau froide, au témoignage de VEvangUe de Vérité, p. 34, 14-25, l'âme sera alors attirée par l'odeur de la lumière qui la ramène au port de ses origines, à l'endroit dont elle est émanée. Elle est
présentement dans un ouvrage (icXda|xa) psychique (<(>oxixdv), elle
ressemble à une eau froide (<J^XPOV) dans une terre friable et instable qui ne pourra à la fin que se dissoudre. Tout ce développement de l'Evangile de Vérité sur l'âme, l'eau et la terre s'inspire d'une théorie répandue dans certaines écoles philosophiques, qui est
d'origine iranienne. En effet, l'eau est en Iran le symbole de l'obscurité
(7) Cf. M. Krause, Pahor Labib, Die drei Versionen des Apokryphon Johannes im Koptischen Museum zu Alt-Kairo (Abhandlungen des Deut- schen Archàologischen Instituts Kairo, Koptische Reihe, 1), Wiesbaden, 1962, Index, p. 272-273 ; A. Boehlig, Pahor Labib, Die koptisch-gnostische Schrift ohne Titel aus Codex II von Nag Hammadi im Koptischen Museum zu Alt-Kairo (Deutsche Akademie der Wissenschaften zu Berlin. Institut fur Orientforschung, 58), Berlin, 1962, Index, p. 115 ; A. Boehlig, Pahor Labib, Koptisch-gnostische Apokalypsen aus Codex V von Nag Hammadi im Koptischen Museum zu Alt-Kairo, dans Wissenschaftliche Zeitschrift der Martin-Luther-Universitàt, Halle- Wittenberg (Sonderband), 1963, Index, p. 124.
(8) Cf. Paraphrase de 8hem, 2,2 (Codex VU de Nag Hammadi, 1), où il est dit que le voùç est tombé dans le feu chaotique.
III — Symbolique de Veau et du feu
Cette conscience gnostique et cette domination du monde
s'exprimeront dans une autre symbolique : celle de l'eau et du feu. Cette dernière rencontre des parallèles à l'époque gréco-romaine. Sénèque, dans ses Quaestiones naturales, III, 5 ainsi que Tertullien, De carne Christi, IX, 3 soutiennent que notre chair et notre sang, constituant les éléments passibles de nous-mêmes, sont effectivement issus de la terre et de l'eau, mais que d'esprit est l'élément actif en nous, puisqu'il provient de l'air et du feu.
Les sphères cosmiques supérieures des textes gnostiques sont faites avant tout de lumière (7). Rares parmi ces textes sont ceux pour qui le feu constitue un élément inférieur (8). C'est dans ces sphères supérieures que l'âme doit remonter. Tombée dans une eau froide, au témoignage de VEvangUe de Vérité, p. 34, 14-25, l'âme sera alors attirée par l'odeur de la lumière qui la ramène au port de ses origines, à l'endroit dont elle est émanée. Elle est
présentement dans un ouvrage (icXda|xa) psychique (<(>oxixdv), elle
ressemble à une eau froide (<J^XPOV) dans une terre friable et instable qui ne pourra à la fin que se dissoudre. Tout ce développement de l'Evangile de Vérité sur l'âme, l'eau et la terre s'inspire d'une théorie répandue dans certaines écoles philosophiques, qui est
d'origine iranienne. En effet, l'eau est en Iran le symbole de l'obscurité
(7) Cf. M. Krause, Pahor Labib, Die drei Versionen des Apokryphon Johannes im Koptischen Museum zu Alt-Kairo (Abhandlungen des Deut- schen Archàologischen Instituts Kairo, Koptische Reihe, 1), Wiesbaden, 1962, Index, p. 272-273 ; A. Boehlig, Pahor Labib, Die koptisch-gnostische Schrift ohne Titel aus Codex II von Nag Hammadi im Koptischen Museum zu Alt-Kairo (Deutsche Akademie der Wissenschaften zu Berlin. Institut fur Orientforschung, 58), Berlin, 1962, Index, p. 115 ; A. Boehlig, Pahor Labib, Koptisch-gnostische Apokalypsen aus Codex V von Nag Hammadi im Koptischen Museum zu Alt-Kairo, dans Wissenschaftliche Zeitschrift der Martin-Luther-Universitàt, Halle- Wittenberg (Sonderband), 1963, Index, p. 124.
(8) Cf. Paraphrase de 8hem, 2,2 (Codex VU de Nag Hammadi, 1), où il est dit que le voùç est tombé dans le feu chaotique.
38 J.-E. MÉNAKD
des entrailles maternelles, c'est-à-dire d'un état embryonnaire
d'inconscience et d'indifférenciation, alors que le feu montant dans l'air,
au lieu de descendre sous terre comme l'eau, est l'élément mâle (9)
et il correspond à un état de différenciation et de conscience. On
retrouve cette symbolique chez Origène pour qui l'âme résulte d'un
refroidissement du iws5|Aa, de l'air aspiré ou du souffle vital
primitivement chaud (10). Philon compare même dans son De somn., I, 31 le processus du refroidissement de l'âme à l'immersion d'un fer ardent dans une eau froide: fevv(a\i.âvQv S'sùôoç ^ e£a)0ev etoxpivexai (ô voûç) ^ 6tcô xoû itepispvcoç àépoç rj Ivflepjtot; èv yj|ùv cpôoiç ola atSyjpoç èx ^aXxéo&Ç TCexopo){tévo<; (fôaxi ^XP*? %9°$ T° xpaxato'xaxov OTojxoôxai* Stdxi xai roxpà xyjv cj>ô^tv tovojAdoôai fyoyri &oxe^ Tout le sensible doit être englouti par le spirituel, comme l'est la matière par la flamme, lisons-nous dans VEvangUe de Vérité, p. 25, 15 ss. Le spirituel est échu dans le sensible, mais le sensible devient à la fin spirituel, de l'esprit vient le corps, mais le corps redevient esprit ; de l'éternel est sorti le temporel, mais le temporel retourne à l'éternel. De l'Un vient le
monde et le monde doit retourner à l'Un. Si l'un est devenu multiple, le multiple doit toutefois re-devenir Un. C'est le év xo irôv,
l'Un est le Tout, et le Tout est Un.
L'âme doit re-devenir nveô|ia, et il faut qu'elle se rapproche du feu, ainsi que l'enseigne le logion 82 de l'Evangile selon
Thomas :
Jésus a dit : Celui qui est près
de moi est près du feu, et celui qui est loin de moi est loin du Royaume.
Malgré ses allures religieuses et son idée que le chrétien est près du Seigneur, comme dans les Odes de Salomon, XXI, 7, ce logion est profane en son fond et dans ses origines : il se tient dans le sillage des Dits de l'Antiquité qui identifient le feu au maître, le seigneur temporel qui domine le monde. En effet, s'il est repris par Origène, Didyme d'Alexandrie et une exégèse anti- marcionite (11), il est aussi connu des Paromiai d'EsoPE : '0
(9) Cf. Hippolyte, Elenchos, I, 2, 12-13.
(10) Cf. Tertullien, De anima, 25, 2.6 ; 27, 5, p. 231, 329-330, 351 Waszink ; A.-J. Festugiêre, La Révélation d'Hermès Trismégiste, TU :
Les doctrines de l'âme (Etudes Bibliques), Paris, 1953, p. 186.
(11) Cf. Origène, In Jerem., Horn., XX, 3 avec la traduction de JEROME (PG, XIII, col. 531D-532A) ; Didyme d'Alexandrie (selon Origène) sur le Ps., LXXXVTII, 8 (PG, XXXIX, col. 1488 D) ; J. SCHAEPERS, Eine
refroidissement du iws5|Aa, de l'air aspiré ou du souffle vital
primitivement chaud (10). Philon compare même dans son De somn., I, 31 le processus du refroidissement de l'âme à l'immersion d'un fer ardent dans une eau froide: fevv(a\i.âvQv S'sùôoç ^ e£a)0ev etoxpivexai (ô voûç) ^ 6tcô xoû itepispvcoç àépoç rj Ivflepjtot; èv yj|ùv cpôoiç ola atSyjpoç èx ^aXxéo&Ç TCexopo){tévo<; (fôaxi ^XP*? %9°$ T° xpaxato'xaxov OTojxoôxai* Stdxi xai roxpà xyjv cj>ô^tv tovojAdoôai fyoyri &oxe^ Tout le sensible doit être englouti par le spirituel, comme l'est la matière par la flamme, lisons-nous dans VEvangUe de Vérité, p. 25, 15 ss. Le spirituel est échu dans le sensible, mais le sensible devient à la fin spirituel, de l'esprit vient le corps, mais le corps redevient esprit ; de l'éternel est sorti le temporel, mais le temporel retourne à l'éternel. De l'Un vient le
monde et le monde doit retourner à l'Un. Si l'un est devenu multiple, le multiple doit toutefois re-devenir Un. C'est le év xo irôv,
l'Un est le Tout, et le Tout est Un.
L'âme doit re-devenir nveô|ia, et il faut qu'elle se rapproche du feu, ainsi que l'enseigne le logion 82 de l'Evangile selon
Thomas :
Jésus a dit : Celui qui est près
de moi est près du feu, et celui qui est loin de moi est loin du Royaume.
Malgré ses allures religieuses et son idée que le chrétien est près du Seigneur, comme dans les Odes de Salomon, XXI, 7, ce logion est profane en son fond et dans ses origines : il se tient dans le sillage des Dits de l'Antiquité qui identifient le feu au maître, le seigneur temporel qui domine le monde. En effet, s'il est repris par Origène, Didyme d'Alexandrie et une exégèse anti- marcionite (11), il est aussi connu des Paromiai d'EsoPE : '0
(9) Cf. Hippolyte, Elenchos, I, 2, 12-13.
(10) Cf. Tertullien, De anima, 25, 2.6 ; 27, 5, p. 231, 329-330, 351 Waszink ; A.-J. Festugiêre, La Révélation d'Hermès Trismégiste, TU :
Les doctrines de l'âme (Etudes Bibliques), Paris, 1953, p. 186.
(11) Cf. Origène, In Jerem., Horn., XX, 3 avec la traduction de JEROME (PG, XIII, col. 531D-532A) ; Didyme d'Alexandrie (selon Origène) sur le Ps., LXXXVTII, 8 (PG, XXXIX, col. 1488 D) ; J. SCHAEPERS, Eine
SYMBOLES ET GNOSE 39
Awç éffùç xspaovoû (1®), de Diogène, VII, 77b : irdppco Aioç xe xai
xspaovoô '(13), où il est commenté de la façon suivante : itapavgxtxv) ô'x'-
?JeI (psy^siv xoùç xopàvvooç «><; dxô xepouvoû. Apostolios, XIV, 65
donne le conseil suivant (14) : èrà xwv erafitooXax; xoîç ouvoôotv ^pco-
jxsvojv1^ fàp {iST'dicpaf|ioo6v7jç docpdXeia x&v èicicpaveî pî(j> xtvBûvcuv
xépcr où "(àp l'tpdaae xiç jxaxaptoô^vat xyjç xoû xupdvvoo cptXîaç, xal
xfjc; ex^paç, La tradition latine du médecin Petrus Alfonsi (15) nous rapporte cette parole du philosophe : Bex est simUis igni. Cv si nimis admotus fueris, cremaberis ; si ex toto rematus, frigébis. Le lien profond qui unit le feu et le seigneur, dominateur du monde, appartient à un vieux mythe indo-européen, celui du Purusha hindou pendu au bois de feu (Agni) et qui par son sacrifice (le purusha-medha) obtient la domination du monde, en le
repensant
Le feu est par conséquent un symbo'le de domination du monde.
Le gnostique, en rejoignant son Plérôme, remonte dans la lumière dont est constitué son esprit, alors que son âme est constituée
àltsyrische antimarkionitische Erklàrung von Paràbeln des Herrn und zwei andere àltsyrische Abhandlungen zu Texten des Evangeliums (Neu- testamentliche Abhandlungen, 6, 1-2), MUnster/Westf., 1917, p. 79 ; A. Resch, Agrapha* (Agraphon 150 [Logion 5]), p. 185 ; A. von Harnack, Der kirchengeschichtliche Ertrag der exegetischen Arbeiten des Origenes {TU, XLJI, 3), 1918, p. 20 ; J. JEREMIAS, Unbekannte Jesusworte*, Gtiters- loh, 19G3, p. 64-71.
(12) Cf. B.-E. PERRY, Aesopica, I, Urbana, 1952, p. 290, Nr. 186 ; aussi Corpus paroemiographorum graecorum, H, p. 228, Nr. 7 Leutsch- Schneidewin.
(13) Cf. ibid., I, p. 300.
(14) Cf. ibid., H, p. 620.
(15) Cf. p. 39 Hilka-S8derjelm ; J.-B. Bauer, Dos Jesuswort « Wer mir nahe ist», dans TheolZeit, 15 {1959), p. 446-450.
(16) Cf. J.-L. Sauvé, The Divine Victim : Aspects of Human Sacrifice in Viking Scandinavia and Vedic India, dans Myth and Law Among the Indo-Europeans. Studies of Indo-European Comparative Mythology
(Publications of the UCLA Center for the Study of Comparative Folklore and Mythology, 1), éd. J. Puhvel, Berkeley, Los Angeles, Londres, 1970, p. 173-191 ; J.-E. MÉNARO, Cosmologie et psychologie du feu dans les textes giïostiques, dans Le Feu dans le Proche-Orient antique. Aspects
linguistiques, archéologiques, technologiques, littéraires (Travaux du Centre de Recherche sur le Proche-Orient et la Grèce antiques, Université des Sciences Humaines de Strasbourg, 1), Leiden, 1973, p. 93-100.
xépcr où "(àp l'tpdaae xiç jxaxaptoô^vat xyjç xoû xupdvvoo cptXîaç, xal
xfjc; ex^paç, La tradition latine du médecin Petrus Alfonsi (15) nous rapporte cette parole du philosophe : Bex est simUis igni. Cv si nimis admotus fueris, cremaberis ; si ex toto rematus, frigébis. Le lien profond qui unit le feu et le seigneur, dominateur du monde, appartient à un vieux mythe indo-européen, celui du Purusha hindou pendu au bois de feu (Agni) et qui par son sacrifice (le purusha-medha) obtient la domination du monde, en le
repensant
Le feu est par conséquent un symbo'le de domination du monde.
Le gnostique, en rejoignant son Plérôme, remonte dans la lumière dont est constitué son esprit, alors que son âme est constituée
àltsyrische antimarkionitische Erklàrung von Paràbeln des Herrn und zwei andere àltsyrische Abhandlungen zu Texten des Evangeliums (Neu- testamentliche Abhandlungen, 6, 1-2), MUnster/Westf., 1917, p. 79 ; A. Resch, Agrapha* (Agraphon 150 [Logion 5]), p. 185 ; A. von Harnack, Der kirchengeschichtliche Ertrag der exegetischen Arbeiten des Origenes {TU, XLJI, 3), 1918, p. 20 ; J. JEREMIAS, Unbekannte Jesusworte*, Gtiters- loh, 19G3, p. 64-71.
(12) Cf. B.-E. PERRY, Aesopica, I, Urbana, 1952, p. 290, Nr. 186 ; aussi Corpus paroemiographorum graecorum, H, p. 228, Nr. 7 Leutsch- Schneidewin.
(13) Cf. ibid., I, p. 300.
(14) Cf. ibid., H, p. 620.
(15) Cf. p. 39 Hilka-S8derjelm ; J.-B. Bauer, Dos Jesuswort « Wer mir nahe ist», dans TheolZeit, 15 {1959), p. 446-450.
(16) Cf. J.-L. Sauvé, The Divine Victim : Aspects of Human Sacrifice in Viking Scandinavia and Vedic India, dans Myth and Law Among the Indo-Europeans. Studies of Indo-European Comparative Mythology
(Publications of the UCLA Center for the Study of Comparative Folklore and Mythology, 1), éd. J. Puhvel, Berkeley, Los Angeles, Londres, 1970, p. 173-191 ; J.-E. MÉNARO, Cosmologie et psychologie du feu dans les textes giïostiques, dans Le Feu dans le Proche-Orient antique. Aspects
linguistiques, archéologiques, technologiques, littéraires (Travaux du Centre de Recherche sur le Proche-Orient et la Grèce antiques, Université des Sciences Humaines de Strasbourg, 1), Leiden, 1973, p. 93-100.
40 J.-E. MÉNABD
de l'eau, ainsi que l'enseigne la sentence 66 de VEvangUe selon
Philippe :
L'a [me ($&/$) ]
et l'esprit (7tvsûji.a) sont nés d'eau et
de feu et de lumière
Le feu est l'onction (^ptajxa),
la lumière est le feu. Je ne parle pas de ee feu
qui n'a pas de forme (iiopç^), mais (dXXct) de l'autre dont la forme (jiopcpV)) est blanche, qui est de la belle lumière
et qui donne la beauté.
La lumière confère ici à l'âme la beauté (17) comme dans le manichéisme, où c'est le voûç qui laisse émaner de lui cette beauté de la lumière (18). Nous rejoignons une fois encore la pensée iranienne qui veut que la forme de l'Homme parfait soit cedle du feu sphéri- que, grâce à laquelle l'homme s'unit à l'Ame de l'univers (191). Et ce feu est cette onction, cette semence qui engendre le parfait à son Piérôme, à sa plénitude psychique. Ne faudrait-il pas alors rapprocher du feu gnostique et de l'onction à laquelle il est identifié une -autre notion iranienne, celle du « semen », le yaozdâ (20) ?
IV — Symbolique de la résurrection et de la renaissance
Tels sont aussi les deux grands symboles : le Piérôme et l'absorption de l'Obscurité par la Lumière pour l'auteur de VEpitre
à Rhèginos sur la résurrection. On lit aux p. 48', 38<-4&, 7 :
(17) Cf. Ecrit anonyme du Codex II de Nag Hammadi, p. 150, 4 Bôhlig-Pahor Labib.
(18) Cf. Psautier manichéen copte, p. 151, 30 Allberry ; p. 161, 5 ; p. 164, 5. 11 ; p. 166, 8 ; p. 174, 6 ss. ; voir aussi M 32 et F.-W.-K. Mueller, Handschriften-Reste in Estrangelo-Schrift ans Turfan, Chinesisch-Turkis- tan, II (Abhandlungen der Preussischen Akademie der Wissenschaften, phil.-hist. Kl.), Berlin, 1904, p. 64 ; M 75, ibid., p. 70 ; M 33 et F.-C. ANDREAS, W.-B. Henning, Mitteliranische Manichaica aus Chinesisch-Turkistan, IU (Sitzungsberichte der Preussischen Akademie der Wissenschaften, phil.-
hist. Kl.), Berlin, 1934, p. 87.
(19) Cf. J. Duchesne-Guillemin, Some Aspects of
Anthropomorphism, dans The Saviour God (Comparative Studies in the Conception of Salvation Presented to E.-O. James), Manchester, 1963, p. 84.
(20) Cf. J. Duchesne-Guillemin, Reflections on yaozda, with a Digression on xvaetvadafya, dans Myth and Law Among the Indo-Euro-
peans, p. 203-210.
L'a [me ($&/$) ]
et l'esprit (7tvsûji.a) sont nés d'eau et
de feu et de lumière
Le feu est l'onction (^ptajxa),
la lumière est le feu. Je ne parle pas de ee feu
qui n'a pas de forme (iiopç^), mais (dXXct) de l'autre dont la forme (jiopcpV)) est blanche, qui est de la belle lumière
et qui donne la beauté.
La lumière confère ici à l'âme la beauté (17) comme dans le manichéisme, où c'est le voûç qui laisse émaner de lui cette beauté de la lumière (18). Nous rejoignons une fois encore la pensée iranienne qui veut que la forme de l'Homme parfait soit cedle du feu sphéri- que, grâce à laquelle l'homme s'unit à l'Ame de l'univers (191). Et ce feu est cette onction, cette semence qui engendre le parfait à son Piérôme, à sa plénitude psychique. Ne faudrait-il pas alors rapprocher du feu gnostique et de l'onction à laquelle il est identifié une -autre notion iranienne, celle du « semen », le yaozdâ (20) ?
IV — Symbolique de la résurrection et de la renaissance
Tels sont aussi les deux grands symboles : le Piérôme et l'absorption de l'Obscurité par la Lumière pour l'auteur de VEpitre
à Rhèginos sur la résurrection. On lit aux p. 48', 38<-4&, 7 :
(17) Cf. Ecrit anonyme du Codex II de Nag Hammadi, p. 150, 4 Bôhlig-Pahor Labib.
(18) Cf. Psautier manichéen copte, p. 151, 30 Allberry ; p. 161, 5 ; p. 164, 5. 11 ; p. 166, 8 ; p. 174, 6 ss. ; voir aussi M 32 et F.-W.-K. Mueller, Handschriften-Reste in Estrangelo-Schrift ans Turfan, Chinesisch-Turkis- tan, II (Abhandlungen der Preussischen Akademie der Wissenschaften, phil.-hist. Kl.), Berlin, 1904, p. 64 ; M 75, ibid., p. 70 ; M 33 et F.-C. ANDREAS, W.-B. Henning, Mitteliranische Manichaica aus Chinesisch-Turkistan, IU (Sitzungsberichte der Preussischen Akademie der Wissenschaften, phil.-
hist. Kl.), Berlin, 1934, p. 87.
(19) Cf. J. Duchesne-Guillemin, Some Aspects of
Anthropomorphism, dans The Saviour God (Comparative Studies in the Conception of Salvation Presented to E.-O. James), Manchester, 1963, p. 84.
(20) Cf. J. Duchesne-Guillemin, Reflections on yaozda, with a Digression on xvaetvadafya, dans Myth and Law Among the Indo-Euro-
peans, p. 203-210.
SYMBOLES ET GNOSE 41
Car (fdp) l'incorruptibilité
des[cend] dans le
corruptiMe ; et la lumière se répand
sur les ténèbres,
les engloutissant ; et le Flérôme (TtA.rjp(o|j.a) remplit la Déficience.
Tels sont les symboles (oôjiftoXov) et
les images de la résurrection (dvdaxaou;).
Il est à se demander si l'auteur du traité ne fait de la résurrection qu'un symbole. Si dans certains passages de son opuscule il se laisse influencer par la notion iranienne et judéo-chrétienne d'une résurrection de la chair à la fin des temps ou à la mort du juste, il prône en d'autres endroits une résurrection actualisée qui n'est en somme que le retour du gnostique à ses origines
célestes. C'est ainsi que nous lisons à la p. 49, 9-1G :
Ne va pas
comprendre (voslv) partiellement (jieptxûx;), o (u>) Khègi-
nos, ni (oflxe) te conduire (icoXixsôeaflat)
selon (xaxd) cette chair (odp£), — à cause de
l'Unité — , mais (dXXd) dégage4oi des divisions (iiepioitdç) et des
liens, et déjà (t^tj) tu possèdes la résurrection (dvdaxaait;).
Et c'est alors que le disciple peut retourner à ses origines célestes (p. 49, 26-36) :
Si tu possèdes
la résurrection, mais (dXXd) ^demeure comme si (<bç) tu devais mourir ....
Il convient à
chacun de s'exercer (àoxeîv) de multiples façons, et il
sera délivré de cet élément (axor/eïov),
afin qu'il ne soit pas dans l'erreur (xXavàv), mais
se saississe lui-même de nouveau tel qu'il était d'abord.
Si Rhèginos, possédant vraiment la résurrection, s'exerce de multiples manières à cette idée, il sera délivré de l'élément du monde, il ne sera plus dans l'erreur et il se saisira de nouveau tel qu'il était
des[cend] dans le
corruptiMe ; et la lumière se répand
sur les ténèbres,
les engloutissant ; et le Flérôme (TtA.rjp(o|j.a) remplit la Déficience.
Tels sont les symboles (oôjiftoXov) et
les images de la résurrection (dvdaxaou;).
Il est à se demander si l'auteur du traité ne fait de la résurrection qu'un symbole. Si dans certains passages de son opuscule il se laisse influencer par la notion iranienne et judéo-chrétienne d'une résurrection de la chair à la fin des temps ou à la mort du juste, il prône en d'autres endroits une résurrection actualisée qui n'est en somme que le retour du gnostique à ses origines
célestes. C'est ainsi que nous lisons à la p. 49, 9-1G :
Ne va pas
comprendre (voslv) partiellement (jieptxûx;), o (u>) Khègi-
nos, ni (oflxe) te conduire (icoXixsôeaflat)
selon (xaxd) cette chair (odp£), — à cause de
l'Unité — , mais (dXXd) dégage4oi des divisions (iiepioitdç) et des
liens, et déjà (t^tj) tu possèdes la résurrection (dvdaxaait;).
Et c'est alors que le disciple peut retourner à ses origines célestes (p. 49, 26-36) :
Si tu possèdes
la résurrection, mais (dXXd) ^demeure comme si (<bç) tu devais mourir ....
Il convient à
chacun de s'exercer (àoxeîv) de multiples façons, et il
sera délivré de cet élément (axor/eïov),
afin qu'il ne soit pas dans l'erreur (xXavàv), mais
se saississe lui-même de nouveau tel qu'il était d'abord.
Si Rhèginos, possédant vraiment la résurrection, s'exerce de multiples manières à cette idée, il sera délivré de l'élément du monde, il ne sera plus dans l'erreur et il se saisira de nouveau tel qu'il était
42
J.-E. MÉNARD
d'abord, c'estâ-dire qu'il reprendra conscience de ses origines
divines, de ce qui est sien.
Cette notion de résurrection, rapprochée de celle de VEvangile
de Vérité, p. 30, 6'-23', c'est-à-dire d'un écrit que côtoie le De ressur- rection dans le 'Codex Jung, nous laisserait entendre que la gnose, qui est une sortie pour lia conscience de l'ignorance et du rêve où elle était plongée jusqu'à maintenant, serait à comparer à une
résurrection. Voici les lignes de l'Evangile de Vérité :
C'est ainsi
qu'ont agi tous ceux qui étaient comme endormis,
lorsqu'ils
étaient ignorants, et c'est ainsi qu'ils
se redressent, comme s'ils s'éveillaient.
Heureux celui qui s'est retourné sur lui-même et s'est réveillé, et bienheureux (jiaxàpioç) Celui qui a ouvert
les yeux des aveugles. Et
l'Esprit (itvsûjxa) s'est empressé de venir à lui quand il le ressuscitait,
tendant la main
à celui qui était étendu par
terre, il le consolida
sur ses pieds, car (hé)
il n'avait pas encore ressurgi.
La grande remarque qui s'impose à la lecture d'un pareil
texte, c'est que nous avons affaire ici à une pensée dominée par la nostalgie d'une situation initiale qui commande toute actualité, par un mythe de la TJrzeit et de VTJrsprung. C'est dans la mesure où elle retournera au Plérôme^Olympe d'où elle est tombée, que l'âme se re-connaîtra et qu'elle sera délivrée de toutes les Puissances archontiques qui la retenaient à la matière et à l'erreur. Et elle en sera délivrée par le voûç, le Xd^oi;, le irvsujia. Et les grands événements historiques, comme celui du 'Christ, par exemple, deviennent de l'atemporel et du mythique. C'est ainsi que le Christ en croix n'est plus que le symbole de l'homme crucifié à la
matière dans l'Evangile de Vérité, p. 20, 25-34 (21), et que la résur-
(21) La notion platonicienne de Croix devait être exploitée dans les courants gnostiques ultérieurs, cf. G. Quispel, Der gnostische Anthropos und die jiidische Tradition, dans Eranos Jahrbuch, 22 (1953), p. 195-234.
Cette notion de résurrection, rapprochée de celle de VEvangile
de Vérité, p. 30, 6'-23', c'est-à-dire d'un écrit que côtoie le De ressur- rection dans le 'Codex Jung, nous laisserait entendre que la gnose, qui est une sortie pour lia conscience de l'ignorance et du rêve où elle était plongée jusqu'à maintenant, serait à comparer à une
résurrection. Voici les lignes de l'Evangile de Vérité :
C'est ainsi
qu'ont agi tous ceux qui étaient comme endormis,
lorsqu'ils
étaient ignorants, et c'est ainsi qu'ils
se redressent, comme s'ils s'éveillaient.
Heureux celui qui s'est retourné sur lui-même et s'est réveillé, et bienheureux (jiaxàpioç) Celui qui a ouvert
les yeux des aveugles. Et
l'Esprit (itvsûjxa) s'est empressé de venir à lui quand il le ressuscitait,
tendant la main
à celui qui était étendu par
terre, il le consolida
sur ses pieds, car (hé)
il n'avait pas encore ressurgi.
La grande remarque qui s'impose à la lecture d'un pareil
texte, c'est que nous avons affaire ici à une pensée dominée par la nostalgie d'une situation initiale qui commande toute actualité, par un mythe de la TJrzeit et de VTJrsprung. C'est dans la mesure où elle retournera au Plérôme^Olympe d'où elle est tombée, que l'âme se re-connaîtra et qu'elle sera délivrée de toutes les Puissances archontiques qui la retenaient à la matière et à l'erreur. Et elle en sera délivrée par le voûç, le Xd^oi;, le irvsujia. Et les grands événements historiques, comme celui du 'Christ, par exemple, deviennent de l'atemporel et du mythique. C'est ainsi que le Christ en croix n'est plus que le symbole de l'homme crucifié à la
matière dans l'Evangile de Vérité, p. 20, 25-34 (21), et que la résur-
(21) La notion platonicienne de Croix devait être exploitée dans les courants gnostiques ultérieurs, cf. G. Quispel, Der gnostische Anthropos und die jiidische Tradition, dans Eranos Jahrbuch, 22 (1953), p. 195-234.
SYMBOLES ET GNOSE 43
rection elle-même est devenue l'image du passage chez l'homme
de l'inconscient au conscient, de l'ignorance et du rêve à la
conscience pure. Les gnostiques de Tertullien, De resurrectione
mortuorum, XIX, 2-71, avaient une semblable idée de la
résurrection : elUe est une sortie du sépulcre de l'erreur et de l'ignorance et une entrée dans (Iles arcanes de la connaissance de Dieu : « Resurrectionem quoque mortuorum manifeste adnuntiatam in imagi- nariam significationem distorqwent, adserentes ipsam etiam mortem spiritaUter intelligendam. Non enim hanc esse in vero, quae sit in medio, discidium carnis atque animae, sed ignorantiam dei, per quam homo mortuus deo non minus in errore jacuerit quam in sepulchro. Itaque et resurrectionem earn vindicandam, qua quis adita verîtate redanimatus et revivificatus deo ignorantiae morte discussa velut de sepulchro veteris hominis eruperit, quia et dominus scribas et
Pharisaeos sepuilchris dealbatis adaequaverit. Exinde ergo
resurrectionem fide consecutos cum domino esse, quem in baptismate indue- rint. Hoc denique ingenio etiam in conloquiis saepe nostros decipere
consweverunt, quasi et ipsi resurrectionem carnis admettant : « Vae », inquiunt, « qui non in hoc carne resurrexerit », ne statim illos per- cutiant, si resurrectionem statim abnuerint. Tacite autem secundum conscientiam suam hoc sentiunt : « Vae, qui non, dum in hac carne est, cognoverit arcana haeretica » ; hoc est enim apud Ulos resurrec- tio. Sed et plerique ab excessu animae resurrectionem vindicantes de sepulchro exire de saeculo evadere interpretantur, quia et saeculum mortuorum sit habitaculum, id est ignorantiam deum, vel etiam de ipso corpore, quia et corpus vice sepulchri conclusam in saecularis vitae morte detineat ».
Cet éveil symbolisé par la résurrection n'est pas faite pour nous étonner. Il rejoint par-delà le christianisme le réveil des
pèlerins d'Eleusis fatigués de leur pèlerinage et couchés sur les pelouses du sanctuaire dans l'attente de l'arrivée de Iacchos, ainsi qu'en témoigne Aristophane, Les grenouilles, 340 ;
"Efeipe* cpXoTféaç ev /epoi f^p fjxet Ttvàaotov
"lax/' , œ "Iaxxe,
voxxépoo teXstyjc;, <pa>ocpdpo<; ào-ajp.
On aurait tort de rapprocher cette symbolique d'un éveil à la lumière et la description que nous donne Paul en Eph., V, 14 de la
résurrection des morts, même si le Christ peut être présenté ici comme un nouveau Dionysos :
résurrection : elUe est une sortie du sépulcre de l'erreur et de l'ignorance et une entrée dans (Iles arcanes de la connaissance de Dieu : « Resurrectionem quoque mortuorum manifeste adnuntiatam in imagi- nariam significationem distorqwent, adserentes ipsam etiam mortem spiritaUter intelligendam. Non enim hanc esse in vero, quae sit in medio, discidium carnis atque animae, sed ignorantiam dei, per quam homo mortuus deo non minus in errore jacuerit quam in sepulchro. Itaque et resurrectionem earn vindicandam, qua quis adita verîtate redanimatus et revivificatus deo ignorantiae morte discussa velut de sepulchro veteris hominis eruperit, quia et dominus scribas et
Pharisaeos sepuilchris dealbatis adaequaverit. Exinde ergo
resurrectionem fide consecutos cum domino esse, quem in baptismate indue- rint. Hoc denique ingenio etiam in conloquiis saepe nostros decipere
consweverunt, quasi et ipsi resurrectionem carnis admettant : « Vae », inquiunt, « qui non in hoc carne resurrexerit », ne statim illos per- cutiant, si resurrectionem statim abnuerint. Tacite autem secundum conscientiam suam hoc sentiunt : « Vae, qui non, dum in hac carne est, cognoverit arcana haeretica » ; hoc est enim apud Ulos resurrec- tio. Sed et plerique ab excessu animae resurrectionem vindicantes de sepulchro exire de saeculo evadere interpretantur, quia et saeculum mortuorum sit habitaculum, id est ignorantiam deum, vel etiam de ipso corpore, quia et corpus vice sepulchri conclusam in saecularis vitae morte detineat ».
Cet éveil symbolisé par la résurrection n'est pas faite pour nous étonner. Il rejoint par-delà le christianisme le réveil des
pèlerins d'Eleusis fatigués de leur pèlerinage et couchés sur les pelouses du sanctuaire dans l'attente de l'arrivée de Iacchos, ainsi qu'en témoigne Aristophane, Les grenouilles, 340 ;
"Efeipe* cpXoTféaç ev /epoi f^p fjxet Ttvàaotov
"lax/' , œ "Iaxxe,
voxxépoo teXstyjc;, <pa>ocpdpo<; ào-ajp.
On aurait tort de rapprocher cette symbolique d'un éveil à la lumière et la description que nous donne Paul en Eph., V, 14 de la
résurrection des morts, même si le Christ peut être présenté ici comme un nouveau Dionysos :
44 J.-E. MÉNARD
xai àvdoxa ex twv vexpêbv,
xai sTCtcpauoet aol 6 Xptoxdç.
Les gnostiques du IIe siècle, plus particulièrement 'les Naassènes, ont emprunté une autre symbolique aux mystères eleusiniens. C'est
ceULe du balancement de la gerbe de blé et de lia naissance de l'enfant. Ils ont interprété l'un et l'autre d'une re-naissance, d'une iraXifyevsaîa du pneumatique, du parfait. Hippolyte nous a laissé dans son Elenchos, V, 8, 39-41, une description de ces rites et il nous y expose l'interprétation que leur donnaient lies Naassènes : « Les Phrygiens l'appellent un épi vert et, à leur suite les
Athéniens, lorsqu'ils célèbrent les mystères eleusiniens et qu'ils
montrent aux assistants le mystère de l'épi qui apparaît dans le silence. Cet épi est pour les Athéniens la grande étoile parfaite de l'Insaisissable. Aussi le hiérophante s'écrie-t-il dans la nuit à Eleusis : La grande Brimo a enfanté un enfant saint, le Brimos, c'est-à-dire que la Puissante a enregistré le Puissant. La Puissante est la naissance pneumatique, celle du ciel d'en-haut ; puissant est celui qui est engendré. Tel est le mystère : Bleusin et Anakto- reion : Eleusin, parce que nous, pneumatiques, nous sommes venus d'Adam, nous sommes descendus — devanlt venir (eleûsesthai) signifie « venir » — Anaktoreion désigne l'ascension (ânô) ».
Cette ré-interprétation gnostique suppose certes l'événement de
la résurrection chrétienne, mais elle nous replonge tout autant dans l'atmosphère animiste des mystères de fécondité qui exaltaient la « résurrection » de la nature et où l'homme, vivant en symbiose avec cette dernière, voyait dans son éveil un gage de survie pour lui-même, voire d'immortalité, de cette immortalité que lui aurait conférée Déméter dans un baptême de feu {cf. Homère, Hymne à Déméter, 238-247). Grâce à ces initiatives mystiques, l'initié et à sa suite le gnostique s'unissaient à la divinité et entraient avec elle dans une syzygie mystique, te1! le Lucius des Métamorphoses d'ApuLÉE rejoignant Isis {22') , digne émule en cela d'Osiris.
Pareils îepoi fdjiot nous introduisent dans la symbolique suprême des gnoses, celle de l'absorption des bipolarités : mâle/femelle, droite/gauche, intérieur/extérieur en une Unité Primordiale grâce à laquelle l'homme atteint sa complétude noétique.
(22) Cf. J.-P. Mahé, Quelques remarques sur la religion des Métamorphoses d'Apulée, dans RevScRel, 46 (1972), p. 1-19.
Les gnostiques du IIe siècle, plus particulièrement 'les Naassènes, ont emprunté une autre symbolique aux mystères eleusiniens. C'est
ceULe du balancement de la gerbe de blé et de lia naissance de l'enfant. Ils ont interprété l'un et l'autre d'une re-naissance, d'une iraXifyevsaîa du pneumatique, du parfait. Hippolyte nous a laissé dans son Elenchos, V, 8, 39-41, une description de ces rites et il nous y expose l'interprétation que leur donnaient lies Naassènes : « Les Phrygiens l'appellent un épi vert et, à leur suite les
Athéniens, lorsqu'ils célèbrent les mystères eleusiniens et qu'ils
montrent aux assistants le mystère de l'épi qui apparaît dans le silence. Cet épi est pour les Athéniens la grande étoile parfaite de l'Insaisissable. Aussi le hiérophante s'écrie-t-il dans la nuit à Eleusis : La grande Brimo a enfanté un enfant saint, le Brimos, c'est-à-dire que la Puissante a enregistré le Puissant. La Puissante est la naissance pneumatique, celle du ciel d'en-haut ; puissant est celui qui est engendré. Tel est le mystère : Bleusin et Anakto- reion : Eleusin, parce que nous, pneumatiques, nous sommes venus d'Adam, nous sommes descendus — devanlt venir (eleûsesthai) signifie « venir » — Anaktoreion désigne l'ascension (ânô) ».
Cette ré-interprétation gnostique suppose certes l'événement de
la résurrection chrétienne, mais elle nous replonge tout autant dans l'atmosphère animiste des mystères de fécondité qui exaltaient la « résurrection » de la nature et où l'homme, vivant en symbiose avec cette dernière, voyait dans son éveil un gage de survie pour lui-même, voire d'immortalité, de cette immortalité que lui aurait conférée Déméter dans un baptême de feu {cf. Homère, Hymne à Déméter, 238-247). Grâce à ces initiatives mystiques, l'initié et à sa suite le gnostique s'unissaient à la divinité et entraient avec elle dans une syzygie mystique, te1! le Lucius des Métamorphoses d'ApuLÉE rejoignant Isis {22') , digne émule en cela d'Osiris.
Pareils îepoi fdjiot nous introduisent dans la symbolique suprême des gnoses, celle de l'absorption des bipolarités : mâle/femelle, droite/gauche, intérieur/extérieur en une Unité Primordiale grâce à laquelle l'homme atteint sa complétude noétique.
(22) Cf. J.-P. Mahé, Quelques remarques sur la religion des Métamorphoses d'Apulée, dans RevScRel, 46 (1972), p. 1-19.
SYMBOLES ET GNOSE 45
V — Le ispoi; fd|i.o<;
Le mythe fondamental aussi bien des Extraits de Théodate que du nouvel Evangile selon Philippe de Nag Hammadi est la réunion de l'âme, figurée par Eve, à son douMe céleste et
transcendental, son ange, l'homme-Adam.
Dans le valentinisme, et c'est là le mythe central de ce système gnostique, la Sophia n'est que féminine (23) ; elle ne peut produire qu'un fruit faible ou même un fruit mort (24). Les éléments féminins déchus ici-bas et séparés de leur sôÇo-foç mâle, doivent retourner vers celui-ci, qui est leur conjoint céleste (25), et ils doivent re-devenir vospoî.
Une première sentence de l'Evangile selon Philippe, la sentence 71, illustre bien ce thème mythique :
Quand
Eve (E8a) était en Adam, il n'y avait pas de mort.
Après qu'elle se fut séparée [de lui] , la mort survint.
Si, à nouveau (icdXiv) ele entre en lui, et s'il la prend
[lui-même, il
n'y aura plus de mort.
L'auteur, pour décrire ce retour d'Eve, et surtout si l'on s'en tient au texte copte, emploie une tournure de phrase qui n'est pas sans rappeler celle du petit Evangile d'Eve que nous a conservé Epiphane, Pan., XXVI, 3, 1 : I, p. 2T8, 8-13 Hall. Cet Evangile mentionne le rassemblement du Christ, l'Adam céleste, qui, se rassemblant, rassemble tout ce qui est semence pneumatique dispersée en ce monde. L'expression copte djit, qui signifie « reprendre », se retrouve dans l'Evangile de Vérité, p. 21, 12-14 ; ele correspond à des expressions classiques de la gnose (26).
L'union qui existait dans le mythe androgynique entre Adam et Eve a été troublée par une séparation qui fuit d'abord onto-
(23) Cf. Irênée, Adv. Haer., I, 2, 4 ; Hippolyte, Elenchos, VI, 30, 8. (24) Cf. Ext. Théod., 21 ; 22, 2 ; 79.
(25) Cf. ibid., 64.
(26) Cf. Porphyre, Sent., p. 37, 1 sur le rassemblement du voûç : saoxov encoXa($u>v; P« 38, 9 : dicoXaji$av£t aùxôv ; p. 38, 1 :<kjtooç encoXajipaveiv ;p. 39,
14-17 : saoToôç xs cncoXanPavovxec *°" X<P 6£(? oovenraJjuvot ; A.-L. FESTU- GIêre, La Révélation d'Hermès Trismégiste, TV : Le Dieu inconnu et la gnose (Etudes bibliques), Paris, 1954, p. 229, note 5 ; aussi Actes d'André, 5-6 et A.-J. Festugière, ibid., p. 221 ss.
Le mythe fondamental aussi bien des Extraits de Théodate que du nouvel Evangile selon Philippe de Nag Hammadi est la réunion de l'âme, figurée par Eve, à son douMe céleste et
transcendental, son ange, l'homme-Adam.
Dans le valentinisme, et c'est là le mythe central de ce système gnostique, la Sophia n'est que féminine (23) ; elle ne peut produire qu'un fruit faible ou même un fruit mort (24). Les éléments féminins déchus ici-bas et séparés de leur sôÇo-foç mâle, doivent retourner vers celui-ci, qui est leur conjoint céleste (25), et ils doivent re-devenir vospoî.
Une première sentence de l'Evangile selon Philippe, la sentence 71, illustre bien ce thème mythique :
Quand
Eve (E8a) était en Adam, il n'y avait pas de mort.
Après qu'elle se fut séparée [de lui] , la mort survint.
Si, à nouveau (icdXiv) ele entre en lui, et s'il la prend
[lui-même, il
n'y aura plus de mort.
L'auteur, pour décrire ce retour d'Eve, et surtout si l'on s'en tient au texte copte, emploie une tournure de phrase qui n'est pas sans rappeler celle du petit Evangile d'Eve que nous a conservé Epiphane, Pan., XXVI, 3, 1 : I, p. 2T8, 8-13 Hall. Cet Evangile mentionne le rassemblement du Christ, l'Adam céleste, qui, se rassemblant, rassemble tout ce qui est semence pneumatique dispersée en ce monde. L'expression copte djit, qui signifie « reprendre », se retrouve dans l'Evangile de Vérité, p. 21, 12-14 ; ele correspond à des expressions classiques de la gnose (26).
L'union qui existait dans le mythe androgynique entre Adam et Eve a été troublée par une séparation qui fuit d'abord onto-
(23) Cf. Irênée, Adv. Haer., I, 2, 4 ; Hippolyte, Elenchos, VI, 30, 8. (24) Cf. Ext. Théod., 21 ; 22, 2 ; 79.
(25) Cf. ibid., 64.
(26) Cf. Porphyre, Sent., p. 37, 1 sur le rassemblement du voûç : saoxov encoXa($u>v; P« 38, 9 : dicoXaji$av£t aùxôv ; p. 38, 1 :<kjtooç encoXajipaveiv ;p. 39,
14-17 : saoToôç xs cncoXanPavovxec *°" X<P 6£(? oovenraJjuvot ; A.-L. FESTU- GIêre, La Révélation d'Hermès Trismégiste, TV : Le Dieu inconnu et la gnose (Etudes bibliques), Paris, 1954, p. 229, note 5 ; aussi Actes d'André, 5-6 et A.-J. Festugière, ibid., p. 221 ss.
46 J.-E. MÉNARD
logique, puis existentielle. C'est ce qu'expliquent les sentences 42 et
78 de i'Evangile selon Philippe de Nag Hammadi. A la sentence 42
on lit que toute communauté qui est née de choses dissemblables
l'une à l'autre est un adultère. Et c'est grâce à ce mythe que
l'on décrit l'union de l'âme déchue, terrestre, aux passions, figurées
par les Archontes (27) ou le serpent.
Aussi la Sophia doit-ellie effectuer un retour dans son Epoux. Ce retour à l'Unité est exposé, par exemple, dans VEvangUe des Egyptiens (28») ou, encore, VEvangile selon Thomas (log. 11, 22, 100, 114') : tout ce qui est bipolarité entre homme et femme, entre
l'intérieur et l'extérieur, entre le haut et le bas devra être réabsorbé dans une Unité Primordiale. Ce sont les systèmes vailen-
tiniens qui sont le plus explicites à ce sujet. Les anges, les éléments mMes, sont restés dans l'Adam parfait, tandis que les semences femelles imparfaites, tirées de lui, ont été engendrées ici-bas par Eve. H y a donc eu séparation entre l'Adam authentique et Eve, entre le Logos et la Sophia. La semence femelle, celle du
pneumatique déchu dans la matière, est un fruit faible (29). Mais, si elle est réunie au Logos, elle cessera d'être un produit faible et elle ne sera plus soumise aux Puissances cosmiques ni aux passions. Eéunie à l'Epoux et transformée en Homme, elle deviendra un fruit malle (30), elle appartiendra à la chambre nuptiale (31).
C'est en effet cette séparation du Logos et de la Sophia déchue, de l'Adam céleste et d'Eve, qui produit la mort (32). Tant que les femmes enfantent, au témoignage de l'Evangile des Egyptiens '(38') et de VEvangile selon Thomas {log. 15, 46', 79), c'est la mort (341). Aussi le but de la venue du Christ est-il de redresser, de rectifier la semence féminine (3'5). L'apparition de la
(27) Cf. J.-E. Ménard, L'Evangile selon Philippe. Introduction, texte,
traduction, commentaire, Paris, 1967 ; R.-A. Bullard, The Hypostasis of the Archons. The Coptic Text with Translation and Commentary.
With a Contribution by M. Krause (Patristische Texte und Studien, 10),
Berlin, 1970.
(28) Cf. Clément d'Alexandrie, Strom., HI, 13, 92, 2 : II, p. 238,
23-26 Stâhlin.
(29) Cf. Irénée, Adv. Haer., I, 2, 4 ; Ext. Théod., 68.
(30) Cf. Ext. Théod., 21, 3 ; 79.
(31) Cf. ibid., 68 et Evangile selon Philippe, sent. 87.
(32) Cf. Ext. Théod., 58, 1 ; 61, 6.7.
(33) Cf. Clément d'Alexandrie, Strom., Ill, 6, 45 : n, p. 216, 30-217,
10 Stâhlin.
(34) Cf. Ext. Théod., 80, 1. (35) Cf. ibid., 35, 2.
Aussi la Sophia doit-ellie effectuer un retour dans son Epoux. Ce retour à l'Unité est exposé, par exemple, dans VEvangUe des Egyptiens (28») ou, encore, VEvangile selon Thomas (log. 11, 22, 100, 114') : tout ce qui est bipolarité entre homme et femme, entre
l'intérieur et l'extérieur, entre le haut et le bas devra être réabsorbé dans une Unité Primordiale. Ce sont les systèmes vailen-
tiniens qui sont le plus explicites à ce sujet. Les anges, les éléments mMes, sont restés dans l'Adam parfait, tandis que les semences femelles imparfaites, tirées de lui, ont été engendrées ici-bas par Eve. H y a donc eu séparation entre l'Adam authentique et Eve, entre le Logos et la Sophia. La semence femelle, celle du
pneumatique déchu dans la matière, est un fruit faible (29). Mais, si elle est réunie au Logos, elle cessera d'être un produit faible et elle ne sera plus soumise aux Puissances cosmiques ni aux passions. Eéunie à l'Epoux et transformée en Homme, elle deviendra un fruit malle (30), elle appartiendra à la chambre nuptiale (31).
C'est en effet cette séparation du Logos et de la Sophia déchue, de l'Adam céleste et d'Eve, qui produit la mort (32). Tant que les femmes enfantent, au témoignage de l'Evangile des Egyptiens '(38') et de VEvangile selon Thomas {log. 15, 46', 79), c'est la mort (341). Aussi le but de la venue du Christ est-il de redresser, de rectifier la semence féminine (3'5). L'apparition de la
(27) Cf. J.-E. Ménard, L'Evangile selon Philippe. Introduction, texte,
traduction, commentaire, Paris, 1967 ; R.-A. Bullard, The Hypostasis of the Archons. The Coptic Text with Translation and Commentary.
With a Contribution by M. Krause (Patristische Texte und Studien, 10),
Berlin, 1970.
(28) Cf. Clément d'Alexandrie, Strom., HI, 13, 92, 2 : II, p. 238,
23-26 Stâhlin.
(29) Cf. Irénée, Adv. Haer., I, 2, 4 ; Ext. Théod., 68.
(30) Cf. Ext. Théod., 21, 3 ; 79.
(31) Cf. ibid., 68 et Evangile selon Philippe, sent. 87.
(32) Cf. Ext. Théod., 58, 1 ; 61, 6.7.
(33) Cf. Clément d'Alexandrie, Strom., Ill, 6, 45 : n, p. 216, 30-217,
10 Stâhlin.
(34) Cf. Ext. Théod., 80, 1. (35) Cf. ibid., 35, 2.
SYMBOLES ET GNOSE 4/7
Lumière (36) manifeste l'Homme de la semence supérieure et
remet tout en ordre, en séparant de l'homme terrestre les passions auxquelles celui-ci était mêlé et qui lui obcurcissaient la vue (37). Le Sauveur réveille ainsi l'âme (38) et lui fait prendre conscience de la semence spirituelle dont elle est porteuse. Marie-Madeleine sent cet Homme intérieur en elle-même, et, s'identifiant à lui, elle comprend Tout en même temps qu'eMe se comprend elle-même (30).
C'est dans cette même optique qu'il faut interpréter maintes sentences du nouvel Evangile selon Philippe de Nag Hammadi. L'âme, se débarassant de son état de faiblesse féminine et s'unis-
sant à son pneuma {sent. 66), se re-trouve, se re-découvre et remonte à sa plénitude psychique, et elle accomplit, en l'exprimant, un archétype de repos (40).
Aussi 'le Royaume de Dieu est-il pour le logion 3' de l'Evangile selon Thomas un Royaume à l'intérieur de soi-même :
le Royaume est à l'intérieur de vous et il est à l'extérieur de vous. Quand (oxav) vous
vous connaîtrez, alors (tots) vous serez connus et vous saurez que vous êtes
les fils du Père qui est vivant. Mais (8é), si vous ne vous connaissez pas, alors vous
êtes dans la pauvreté, et vous êtes la pauvreté.
(36) Cf. ibid., 35, 1 ; 41, 2.3.4.
(37) Cf. ibid., 41, 4.
(38) Cf. ibid., 1, 3.
(39) Cf. Pistis Sophia, 113, p. 189, 8 ss. Schmidt-Till ; 125, p. 205,
32 ss.
(40) Tous ces textes sont dominés par un mythe d'androgynie
primordiale et céleste dont les Naassènes nous présentent l'exégèse suivante à propos des mystères d'Attis, cf. Hippolyte, Eîenchos, V, 7, 13-15 : « Si la Mère des dieux a mutilé Attis, alors même qu'elle l'avait pour amant, c'est parce que, d'en haut, la bienheureuse nature des êtres éternels supérieurs du monde attire vers elle l'élément masculin de l'âme ! Car l'homme est androgyne. C'est pour cette raison que le sujet même des rapports de la femme avec l'homme est une abomination et une souillure. Car Attis a été mutilé, c'est-à-dire séparé des parties terrestres et inférieures de la création, pour passer à l'existence
éternelle là-haut où il n'y a ni femme ni mâle mais une créature nouvelle, un homme nouveau qui est androgyne ».
remet tout en ordre, en séparant de l'homme terrestre les passions auxquelles celui-ci était mêlé et qui lui obcurcissaient la vue (37). Le Sauveur réveille ainsi l'âme (38) et lui fait prendre conscience de la semence spirituelle dont elle est porteuse. Marie-Madeleine sent cet Homme intérieur en elle-même, et, s'identifiant à lui, elle comprend Tout en même temps qu'eMe se comprend elle-même (30).
C'est dans cette même optique qu'il faut interpréter maintes sentences du nouvel Evangile selon Philippe de Nag Hammadi. L'âme, se débarassant de son état de faiblesse féminine et s'unis-
sant à son pneuma {sent. 66), se re-trouve, se re-découvre et remonte à sa plénitude psychique, et elle accomplit, en l'exprimant, un archétype de repos (40).
Aussi 'le Royaume de Dieu est-il pour le logion 3' de l'Evangile selon Thomas un Royaume à l'intérieur de soi-même :
le Royaume est à l'intérieur de vous et il est à l'extérieur de vous. Quand (oxav) vous
vous connaîtrez, alors (tots) vous serez connus et vous saurez que vous êtes
les fils du Père qui est vivant. Mais (8é), si vous ne vous connaissez pas, alors vous
êtes dans la pauvreté, et vous êtes la pauvreté.
(36) Cf. ibid., 35, 1 ; 41, 2.3.4.
(37) Cf. ibid., 41, 4.
(38) Cf. ibid., 1, 3.
(39) Cf. Pistis Sophia, 113, p. 189, 8 ss. Schmidt-Till ; 125, p. 205,
32 ss.
(40) Tous ces textes sont dominés par un mythe d'androgynie
primordiale et céleste dont les Naassènes nous présentent l'exégèse suivante à propos des mystères d'Attis, cf. Hippolyte, Eîenchos, V, 7, 13-15 : « Si la Mère des dieux a mutilé Attis, alors même qu'elle l'avait pour amant, c'est parce que, d'en haut, la bienheureuse nature des êtres éternels supérieurs du monde attire vers elle l'élément masculin de l'âme ! Car l'homme est androgyne. C'est pour cette raison que le sujet même des rapports de la femme avec l'homme est une abomination et une souillure. Car Attis a été mutilé, c'est-à-dire séparé des parties terrestres et inférieures de la création, pour passer à l'existence
éternelle là-haut où il n'y a ni femme ni mâle mais une créature nouvelle, un homme nouveau qui est androgyne ».
48 J.-E. MÉNARD
Les bipolarités sont abolies, et l'homme, remontant des dualismes
vers une Unité Primordiale, re-découvre son âme. Plus que jamais
il est vrai de dire que nous sommes en présence de la nostalgie
d'une Urzeit, d'un temps primordial, et d'un Ursprung, d'une
origine première. Et de toutes les religions, la gnose est celle qui
a le plus souvent recours aux symboles grâce auxquels l'homme
se projette, lui et son destin, sur l'écran d'un temps mythique où
il revit sans cesse sa chute dans la matière et sa remontée à des
origines célestes qui sont siennes.
Jacques-E. Ménard
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